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Gilles

VAUTIER

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L’Alpe d’Huez, 1948




Jeanne a skié toute l'après-midi sur les pentes enneigées de l'Alpe d'Huez. Finalement, en voyant les nuages se rassembler autour des Alpes, elle s'est décidé de rentrer à l'hôtel. C'est plus sage, a-t-elle pensé. Mieux vaut rentrer pendant qu'il en est encore temps. Pendant une dizaine de minutes, la jeune femme a marché sur la neige, ses skis sur l'épaule droite tenus par son bras et ses batons serrés par sa main gauche.


Enfin, Jeanne est dans le hall d'entrée de l'hôtel Bel-Alpe. Sur sa gauche se tient le bar de l'établissement. Elle reconnait Jacques, assis sur un des tabourets du comptoir. Jeanne marche dans sa direction et arrivée à quelques centimètres, embrasse rapidement son mari en effleurant ses lèvres.


« Je nous ai commandé un vin chaud, dit Jacques.

-Tu as bien fait. Je suis frigorifiée.» répond Jeanne alors qu'elle enlève son anorak.

La jeune femme boit doucement une gorgée chaude du liquide. Ses narines frémissent en reconnaissant l'odeur suave de la cannelle, parfum qu'elle croyait avoir oublié pendant la guerre.


La guerre...


Jacques avait été fait prisonnier au tout début du conflit, laissant seules Jeanne et Annie, leur fille de quatre ans, dans le petit appartement de la rue Thiais.

Comment Jeanne s'était-elle retrouvée porteuse de messages de la résistance, elle n'en avait plus le souvenir. Elle se rappelle qu'elle faisait de longues promenades en vélo, le long des boulevards d'un Grenoble envahi par les allemands. Entre les dossiers peu épais contenus dans son cartable, quelques plis secrets, adressés à des camarades, étaient glissés.


François, Petit Roland, Pierrot et tant d'autres...


Jeanne n'avait jamais oublié ces visages de l'ombre qui s'étaient réfugiés dans le Vercors pour combattre les allemands. Ils étaient journalistes - comme Jacques- ou plombiers, mécaniciens ou professeurs mais tous avaient en commun la haine de l'occupant.


Un soir, alors que le mois de janvier touchait à sa fin, Jeanne s'est retrouvée toute seule avec Petit Roland dans une minuscule cuisine d'une planque du cours Berriat. Les deux êtres se sont regardés, une tasse d'un café moyen qui réchauffait leurs doigts glacés. Après un moment interminable, le résistant avait embrassé Jeanne sur le coin des lèvres.


« Je suis mariée, murmura-t-elle.

-Je sais. Je t'aime bien. Je te trouve jolie. Mais ne t'inquiète pas, je ne vais pas trahir ton mari. C'est juste que...

-Oui ?

-Demain, si les fridolins me coincent, j'aurais été content d'avoir goûté à tes lèvres.»


Avant que Jeanne n'ait le temps de répondre, Petit Roland quitte la petite pièce dans laquelle ils se tiennent.


Trois jours plus tard, elle apprit que le résistant, encerclé par les SS, avait préféré se jeter du haut d'un immeuble plutôt que d'être capturé vivant. Elle ne put s'empêcher de penser que, peut-être, ce baiser furtif du cours Berriat était le dernier que Petit Roland avait goûté avant sa mort...


«-Tu es bien songeuse, ma petite Jean chérie..»


La voix douce de Jacques ramène Jeanne à la réalité. Elle sourit, confuse.


« Excuse-moi, j'étais dans mes pensées.

-J'ai cru comprendre, répond Jacques en souriant. Et à quoi donc pensais-tu ?»


Jeanne sourit à son tour et pose sa main sur celle de son mari.


«-Mais à toi, bien sûr…»

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